Le système d’enseignement des mathématiques s’appuie sur des supports visuels pour aider les enfants qui suivent leur scolarité dans une langue différente de leur langue maternelle

Tahereh Pazouki peut expliquer de manière concise la vertu de l’enseignement des mathématiques à l’aide de supports visuels.

« Si je vous dis qu’un carré est composé de quatre lignes de même longueur reliées en formant des angles à 90 degrés, il vous faudra un bon niveau de compréhension verbale dans une langue pour saisir ce que je veux dire. Mais, si je vous montre une image d’un carré, alors vous comprendrez facilement. Inutile d’ajouter des explications compliquées. »

C’est, en termes simples, l’idée derrière Magrid, un programme pédagogique d’enseignement des mathématiques au Luxembourg qui a contribué à combler l’écart d’apprentissage entre les élèves dont la langue maternelle correspond à la langue d’enseignement et les autres.

« Au Luxembourg, plus de 60 % des élèves entament leur scolarité dans une langue étrangère », explique Tahereh Pazouki. « Ils ne connaissent pas la langue d’enseignement, qui est le luxembourgeois. »

Le problème va au-delà des mauvaises notes qu’ils obtiennent. « Cela peut sévèrement compromettre leur confiance en eux », précise-t-elle. « Ils peuvent penser qu’ils ne sont pas suffisamment doués voire perdre la motivation pour apprendre. Quand je parle de mathématiques, j’évoque aussi la résolution de problèmes d’ordre général et le raisonnement logique. »

Alors qu’elle préparait un doctorat en informatique et psychologie à l’université du Luxembourg en 2014, Tahereh Pazouki a cherché une solution à ce problème.

« Nous avons commencé à étudier différentes possibilités, dont l’une consistait en un programme d’apprentissage non verbal, que l’on appelle désormais la méthode Magrid », explique-t-elle. « Nous avons supprimé toutes les instructions verbales et les avons remplacées par des supports visuels. Nous avons testé cette méthode dans une vingtaine d’écoles au Luxembourg. »

Poser les bases des mathématiques

Le programme propose plus de 2 500 exercices pour aider les élèves de 3 à 9 ans avec les principaux éléments constitutifs de l’apprentissage précoce des mathématiques, en se concentrant sur des tâches visuelles, spatiales et numériques. Il comprend une application à utiliser sur une tablette ou un autre équipement informatique, qui est complétée par des supports imprimés.

Les résultats obtenus dans les écoles luxembourgeoises ont été impressionnants. L’écart de performance en mathématiques entre les locuteurs natifs et non natifs a disparu. Les enseignants qui ont eu recours au système Magrid ont voulu conserver le matériel et continuent à utiliser le programme. Les parents ont également été satisfaits.

Cíntia Ertel a deux enfants : Benjamin, 7 ans, et Martina, 5 ans. Ils ont tous deux eu recours, il y a deux ou trois ans, à la version de Magrid à utiliser à la maison, alors en phase de développement. Aujourd’hui, ils l’utilisent le mardi et le jeudi après-midi chez eux à Colmar-Berg, au Luxembourg, quand ils n’ont pas école. Cíntia est brésilienne et son mari, Daniel, est allemand.

« Nous n’aimons pas qu’ils regardent la télévision l’après-midi. Nous leur disons donc qu’ils peuvent lire un livre ou faire autre chose, mais ils nous répondent qu’ils veulent utiliser Magrid », explique Cíntia. « J’aime le fait qu’ils peuvent l’utiliser de manière autonome : il leur suffit de regarder les dessins pour s’orienter ensuite. » Elle explique que le programme a été particulièrement utile pour sa fille, parce qu’elle n’a pas besoin d’instructions verbales pour savoir quoi faire.

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© Magrid

Magrid dans la salle de classe

En septembre 2020, pour commercialiser Magrid, Tahereh Pazouki a créé une société de technologies éducatives appelée LetzMath. Magrid consiste désormais en une équipe de huit personnes, et elle est sur le point d’en accueillir deux de plus. En mars 2021, le Luxembourg a adopté Magrid dans toutes ses écoles publiques. Aujourd’hui, plus de 5 000 élèves dans 300 écoles utilisent Magrid pour apprendre les mathématiques et plus encore. Grâce à la publication de ses recherches et au bouche-à-oreille, des écoles aux États-Unis, en France et au Portugal font également appel à ce programme.

Une solution mathématique inclusive

Le programme obtient d’autres formes de reconnaissance. Magrid a remporté le premier prix et 75 000 euros dans le cadre du concours  de l’innovation sociale en 2021. Ce concours a été créé par l’Institut BEI pour aider les entrepreneurs qui soutiennent l’environnement et la société. Magrid a remporté d’autres récompenses majeures en 2021, notamment le World Summit Award for Local Digital Solutions.

LetzMath s’étend à d’autres pays européens, dont l’Allemagne et la Belgique. L’entreprise nourrit de grands espoirs pour son application et permet aux parents d’utiliser Magrid avec leurs enfants à la maison.

« En l’occurrence, l’idée ne consiste pas seulement à laisser les enfants devant des tablettes ou des ordinateurs, mais à optimiser ce temps en transformant l’écran en un tableau noir perfectionné », explique Tahereh Pazouki. « Il suffit d’utiliser Magrid 15 minutes par jour, quatre fois par semaine. Selon moi, il ne suffit pas de proposer des technologies aux enfants et espérer ainsi résoudre tous les problèmes. »

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© Magrid

Tahereh Pazouki, créatrice de Magrid

Afin de renforcer l’impact de Magrid, LetzMath a décidé que pour trois licences vendues, une licence serait fournie gratuitement à une personne n’ayant pas les ressources nécessaires pour l’acheter à une personne n’ayant pas les ressources nécessaires pour l’acheter, ainsi que les supports imprimés qui l’accompagnent.

Pour créer Magrid, Tahereh Pazouki a en partie été inspirée par son frère cadet, qui a souvent rencontré des difficultés à l’école en raison de sa dyslexie.

« Jusqu’à ses 10 ans, il a eu du mal avec les langues. J’essayais toujours de l’aider », explique-t-elle. « Je dessinais les choses pour lui, traduisant un format verbal en un format visuel. Aujourd’hui âgé de 22 ans, il vient d’obtenir son diplôme universitaire : il est désormais ingénieur. J’ai donc pensé : si cela a fonctionné pour mon frère, pourquoi pas ça ne marcherait pas pour d’autres enfants ? »