Une appli innovante permet aux réfugiées d’accéder aux antécédents médicaux de leur famille et aux systèmes de santé locaux

Par Chris Welsh

C'est à bord d’une ambulance, en service, à Istanbul, que le docteur Aral Sürmely a eu l’idée de créer Hera, une application mobile qui permet aux réfugiées syriennes d’accéder aux services médicaux.

À l'époque, une chose ne cessait de l'étonner. Beaucoup, pour ne pas dire la plupart, des situations d’urgence auxquelles il était confronté pouvaient être évitées, et nombre de ces patients étaient des réfugiés syriens.

« J’étais stupéfait de voir ce qu’il se passait », explique-t-il. « Ce pouvait être un jeune garçon ayant des difficultés respiratoires auxquelles il aurait échappé s’il avait été vacciné ou une femme enceinte en situation d’urgence médicale dans mon ambulance parce qu’elle n’était pas allée à ses examens prénatals. »

>@EIB Institute

Il s’est aperçu que les difficultés entraînées par les migrations forcées privaient les réfugiés de certains soins de base, ainsi que de leur dossier médical et d’autres informations en lien avec la santé. Dans un pays qui n’est pas le leur et face à une langue qu’ils ne maîtrisent pas, ils risquent tout particulièrement d’être exclus des services médicaux. Il a entrevu la possibilité de leur donner accès à de meilleurs soins.

« Nous avons vu que les réfugiés possédaient des téléphones portables, parce que ce n’est plus un luxe, mais un lien vital pour eux », affirme-t-il. « Nous savions donc que la solution devait être numérique : une solution mobile pour une population qui l'est aussi. »

L’application qu’il a développée, Hera, constitue un moyen polyvalent de combler le fossé entre les réfugiées syriennes et les soins dont elles et leurs enfants ont besoin, en leur permettant d’avoir en permanence leur dossier médical sur elles grâce à leur téléphone portable. Hera cherche à accroître le taux de soins prénatals et de vaccinations infantiles parmi les réfugiés syriens en Turquie. Elle a pour objectif de prévenir les problèmes de santé des réfugiés et ainsi de réduire leur taux de mortalité.  L’application envoie des rappels quand des vaccins ou des examens sont nécessaires et fournit des renseignements utiles en cas d’urgence, en indiquant par exemple l’hôpital le plus proche. Hera peut aussi être utilisée pour appeler une ambulance. L’application est disponible en arabe, en turc et en anglais, ce qui contribue à lever les barrières linguistiques. Elle permet également d’effectuer des transferts monétaires conditionnels pour aider l’utilisatrice à payer le transport et compenser toute perte de revenu si elle doit quitter le travail pour un rendez-vous.

>@Hera
© Hera

Un problème à l’échelle mondiale

Hera signifie Health Records App (application pour les antécédents médicaux). C’est aussi le nom d'une déesse grecque, « la plus puissante de la mythologie grecque, et nous voulons vraiment donner à ces femmes les moyens d’agir », explique Aral Sürmely. Hera a remporté le prix du public, et une somme de 10 000 euros, au concours de l’innovation sociale 2020 de l’Institut BEI.

Initiative phare du programme d’action sociale de l’Institut BEI, le concours de l’innovation sociale récompense et soutient les meilleures entreprises européennes qui ont pour mission première de générer un impact social, éthique ou environnemental. 

Avec l’aide d’une petite équipe, Aral Sürmely a commencé à travailler sur l’application en 2017, après avoir reçu une subvention d’une organisation non gouvernementale appelée Grands Défis Canada. Hera a ensuite bénéficié d’autres capitaux d’amorçage.

À l’heure actuelle, environ 1 000 femmes utilisent cette application en Turquie. Aral Sürmely affirme qu’Hera va étendre le programme à 10 000 femmes l’année prochaine. En 2022, il espère nouer un partenariat avec le ministère turc de la santé pour pouvoir s’adresser à davantage de familles et aider le ministère à cibler les services offerts à cette population, grâce aux données recueillies par l’application.

Mais l’équipe d’Hera voit déjà plus loin que la Turquie. Neeru Narla, directrice médicale d’Héra, a rencontré Aral Sürmely sur les bancs de l’École de santé publique d’Harvard, alors qu’ils étudiaient tous deux en master. Ils sont convaincus qu’Héra pourrait être d’une grande aide à l’échelle mondiale.

« Ce qui est intéressant dans le travail avec les réfugiés, c’est que même si les aspects culturels peuvent être très différents, les besoins des personnes déplacées sont très similaires partout dans le monde », affirme-t-elle. « Beaucoup de gens en ont besoin. »

Le groupe a décidé d’adopter un modèle d’entreprise sociale pour assurer la durabilité d’Hera. À terme, Hera devrait facturer aux systèmes de santé et aux grandes organisations travaillant avec les réfugiés l’utilisation de l’application, laquelle resterait gratuite pour les réfugiés eux-mêmes. Pour Aral Sürmely, il est logique que ces organisations paient une somme modeste pour fournir les services d’Hera, car l’application sauvera des vies et, surtout, elle permettra aux systèmes de santé locaux d’économiser beaucoup d’argent et d’éviter d’être sous tension.

« Les soins d’urgence coûtent très cher », dit-il. « Dans le cas de ce petit garçon atteint de difficultés respiratoires que j’évoquais tout à l’heure, vous pouvez imaginer le coût de l’ambulance, de la mise sous oxygène et de l’hospitalisation, comparé au vaccin à 2 dollars qu’il aurait dû avoir il y a deux ans. »