Si les éoliennes vous dérangent, l’idée d’un ingénieur espagnol pourrait vous séduire : produire de l’énergie éolienne renouvelable sans émettre de bruit et sans utiliser de pales
Alors qu’il étudiait l’ingénierie à l’université de Valladolid en Espagne, David Yáñez a vu le célèbre film de la destruction du pont du détroit de Tacoma en 1940, un pont suspendu qui se tord et se déforme sous l’effet du vent, comme s’il était un ruban de soie et non une structure de béton et d’acier.
Le pont s’est effondré seulement quelques mois après avoir été achevé.
Cette histoire sert souvent de mise en garde : ses concepteurs n’ayant pas correctement pris en compte le principe de la fréquence de résonance, le pont s’est simplement disloqué sous l’effet d’un vent fort. Balayant l’ouvrage, le vent a généré une oscillation extrêmement puissante. Pour la plupart des gens, ces images évoquent une défaillance catastrophique sur le plan de l’ingénierie, mais David Yáñez y a vu du potentiel. Il s’est dit : « Ce pont amasse une quantité colossale d’énergie. On pourrait peut-être créer une technologie qui en tirerait parti. »
L’ingénieur a ainsi décidé de se lancer dans une invention.
« Même si l’idée a germé grâce à un pont, nous avons réalisé qu’une structure verticale peut atteindre des vents éloignés du sol, qui soufflent donc à des vitesses plus élevées. »
En 2002, David Yáñez a déposé des brevets d’invention pour ce qui est en fin de compte une éolienne sans pales, qui utilise les oscillations pour produire de l’électricité sans faire de bruit et dont l’apparence est moins imposante que celle des éoliennes classiques dotées de pales. L’appareil est cylindrique et attaché à une base fixe. Même une petite quantité de vent peut produire des oscillations. Techniquement, l’appareil n’est pas une turbine, car il n’est pas doté d’un engrenage et n’a pas besoin de lubrifiant. Comme les éoliennes classiques, il se sert d’un alternateur pour transformer le mouvement en électricité.
Complémentarité des énergies éolienne et solaire
Les prototypes actuels, appelés Vortex Nano, mesurent environ 85 centimètres de haut et produisent uniquement la quantité d’énergie nécessaire pour recharger un téléphone portable ou allumer un petit ensemble de LED.
Pour l’entreprise, de plus grandes versions de l’appareil Vortex Bladeless seraient idéales pour produire de l’énergie dans les zones peuplées, surtout si elles étaient utilisées en combinaison avec l’énergie solaire. Potentiellement, des générateurs Vortex montés sur un toit en plus de panneaux solaires pourraient produire suffisamment d’énergie pour rendre une maison autosuffisante.
« La synergie entre ces technologies est très grande, car la nuit, il y a plus de vent et, pendant la journée, les panneaux captent la lumière du soleil », explique David Yáñez. « En outre, les impacts sonores et visuels sont très faibles, de même que le coût. »
Autre avantage : l’électricité est produite sur place et il n’est donc pas nécessaire de la transporter sur de longues distances.
La jeune pousse, appelée Vortex Bladeless, a officiellement vu le jour en 2014. L’entreprise détient cinq brevets pour cette invention.
Dans un premier temps, Vortex a reçu l’aide de quelques investisseurs providentiels, ainsi qu’une subvention clé de Fundación Repsol pour développer la technologie. Depuis lors, d’autres investisseurs et institutions ont apporté leur soutien.
Vortex Bladeless a été l’un des lauréats du concours 2021 de l’innovation sociale. Ce concours a été créé par l’Institut BEI pour aider les entrepreneurs qui soutiennent l’environnement et la société. Vortex a eu l’occasion de participer à un programme d’entrepreneuriat social de l’INSEAD. L’entreprise a remporté de nombreux autres prix et la Commission européenne finance en partie ses travaux dans le cadre de son programme Horizon 2020 pour la recherche et l’innovation.
Prochaine étape : de grandes quantités d’électricité verte
L’entreprise, constituée d’une équipe de six personnes, produit désormais une série de 100 éoliennes Vortex Nano. Ces appareils seront destinés à des instituts de recherche, des laboratoires, des villes, des parcs nationaux et des entreprises partenaires en Espagne et dans le reste du monde. L’idée est de recueillir des données sur la façon dont ils fonctionnent dans différents milieux et de trouver des moyens d’améliorer leur performance.
La prochaine étape serait le Vortex Tacoma, un nouveau modèle d’environ 2,75 mètres de haut qui porte le nom du pont qui a inspiré le projet. Le Vortex Tacoma serait plus pratique pour produire de plus grandes quantités d’électricité. L’entreprise envisage même de créer des générateurs éoliens géants qui pourraient être fixés sur des plateformes flottantes en mer.
Elle met l’accent sur la fourniture d’électricité aux personnes situées dans des zones développées.
« Nous espérons combler une lacune dans le domaine de l’électricité décentralisée ; je pense que c’est la clé », explique Rodrigo Rupérez, directeur général de Vortex Bladeless. « Nous voyons comment le prix de l’électricité augmente en ce moment et comment la consommation suit la même tendance. Notre offre correspond parfaitement au besoin du marché. »
Dans le cadre de son précédent emploi, Rodrigo Rupérez s’est rendu en Bolivie et dans des régions d’Afrique où il y a peu ou pas d’accès à l’électricité. Il espère pouvoir produire de l’électricité dans les régions éloignées. Ainsi, Vortex Bladeless pourrait remplir une mission plus large.
« Cela peut changer la vie de ces personnes, renforcer l’éducation, créer de la richesse, améliorer le quotidien en général », souligne-t-il.
David Yáñez espère que l’entreprise pourra contribuer à un changement positif à un moment crucial.
« Nous vivons une phase de rupture, où interviennent beaucoup de facteurs : l’intelligence artificielle, l’internet des objets, la chaîne des blocs, l’énergie propre », explique-t-il. « Ensemble, ils vont changer la façon dont vivent les êtres humains, et nous aimerions être partie intégrante de ce nouveau mode de vie plus propre. »