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Discours de Nadia Calviño, présidente du Groupe BEI, lors de l’édition 2025 de la Journée de l’économie consacrée aux technologies de l’IA.


EIB

Je vous remercie de me donner l’occasion de partager avec vous quelques réflexions sur une question qui m’intéresse au plus haut point – comme vous tous –, non seulement dans mes fonctions actuelles de présidente de la Banque européenne d’investissement, mais aussi dans celles de vice-présidente du gouvernement espagnol et de ministre de l’économie et de la transition numérique que j’ai occupées auparavant. La plupart des gens retiennent davantage la première partie du poste, à savoir ministre de l’économie et des finances. Mais en réalité, j'ai consacré beaucoup d’efforts et de temps au deuxième volet de mon poste, la transformation numérique du pays. Je pense, par conséquent, que les nouvelles technologies et la position de cheffe de file de l’Europe constituent bel et bien l’une des questions clés de notre époque.

L’intelligence artificielle et la manière d’en faire un moteur de réussite, de sécurité et de compétitivité en Europe sont sans aucun doute l’un des thèmes de discussion clés de notre époque. Et il y a beaucoup de débats sur les menaces liées à l’IA, mais je pense que celles et ceux qui sont réunis ici aujourd’hui sont parfaitement conscients du fait que l’IA offre de formidables perspectives commerciales. Le ministre soulignait à l’instant l’importance de l’adoption et de l’intégration de cette technologie dans les entreprises, dans les petites et moyennes entreprises de nos économies.

Je pense qu’il est utile d’entamer cette discussion aujourd’hui en réfléchissant à trois questions : les avantages de l’intelligence artificielle – ce qu’elle peut apporter à nos sociétés et à nos économies –, le positionnement concurrentiel de l’Europe dans cette course, et troisièmement, ce que nous devons faire pour que ce soit une réussite européenne. Et bien sûr, le rôle de la Banque européenne d’investissement, comme vous l’avez dit à juste titre, qui a été mis en évidence par le rapport Draghi et tant d’autres. L’intelligence artificielle profite déjà au monde entier. Elle est déjà à l'œuvre ici au Luxembourg, dans toute l’Europe. Et je ne parle pas seulement de l’intelligence artificielle générative, qui retient toujours l’attention des médias avec les agents conversationnels (« chatbots Â») et les grands modèles de langage. Je parle de l’intelligence artificielle industrielle, qui est déjà intégrée dans nos usines, qui cartographie nos villes, qui oriente l’avenir de secteurs cruciaux tels que l’énergie, la santé et la sécurité.

À titre d’exemple, citons la société spécialisée dans l’intelligence artificielle OroraTech, basée à Munich. Elle bénéficie du soutien de notre filiale, le Fonds européen d’investissement. L’équipe d’OroraTech a entraîné l’intelligence artificielle à étudier les données sur les températures fournies par les satellites, afin de mieux comprendre et prévoir le déclenchement et la propagation des incendies de forêt. Elle s’emploie donc à résoudre les problèmes de notre planète depuis l’espace. Ces systèmes d’apprentissage de l’IA traitent les données beaucoup plus rapidement que n’importe quelle autre technologie, à une échelle inimaginable jusque très récemment. Et ils ont déjà été en mesure de traiter des problèmes et d'apporter des solutions qui auraient été inconcevables il y a très peu de temps.

Aujourd’hui, en combinant ces images thermiques avec les données météorologiques, nous pouvons, par exemple, prévoir avec beaucoup plus de précision comment l’incendie va se transformer en brasier pour les pompiers. Cela signifie que nous pouvons prendre des mesures préventives. Cela signifie que nous pouvons abaisser le coût du CO2. Les technologies d’intelligence artificielle apportent donc des avantages considérables, et OroraTech n’est qu’un exemple parmi les milliers d’entreprises qui en bénéficient actuellement. Il est clair que cela stimule notre compétitivité. Certaines industries européennes conçoivent déjà des machines qui serviront ensuite de prototypes pour développer les nouvelles techniques, qu’il s’agisse de matériel médical ou de machines à café – des produits qui durent plus longtemps et coûtent moins cher. Et ce n’est que le début.

Je pense que c’est probablement l’une des expressions les plus employées cet après-midi : ce n’est que le début. Personne ne sait vraiment où cela peut nous mener. Si elle est financée de manière appropriée, exploitée de manière adéquate et intégrée de manière efficace, l’intelligence artificielle peut réellement nous être utile et améliorer notre mode de vie. Cela m’amène au deuxième point. Où se situe l’Europe dans cette course ? Car il faut bien le reconnaître, une course est engagée sur les marchés mondiaux et l’on cherche constamment à savoir qui pourra récolter les fruits de cette nouvelle technologie. Dans l’espoir que – comme cela a toujours été le cas par le passé – cela permettra à une entreprise, à un secteur, à un pays ou à une région du monde d'établir un monopole dans ces nouvelles technologies.

Il est intéressant de noter que les monopoles que nous observons ne dureront peut-être pas très longtemps. Il s’agit pour l’instant d’un marché disputable, où de nouvelles évolutions se font jour. La course est donc loin d’être terminée, loin d’être remportée. Et nous avons un avantage en Europe, dont souvent nous ne nous rendons pas compte, dans cette guerre face à beaucoup d’autres acteurs qui bénéficient d’autres avantages considérables. C'est que nous faisons la course en équipe, car l’intelligence artificielle est un nouveau marché. Contrairement à ce qui se passe dans de nombreux autres domaines, nous n’avons pas 27 marchés déjà en place, avec 27 structures, des opérateurs historiques et des cadres réglementaires enracinés qu’il nous faudrait maintenant commencer à harmoniser.

Heureusement, cette fois, nous avons pu commencer par une législation européenne sur l’intelligence artificielle, afin de permettre à ces technologies de se développer à l’échelle du continent. Cela nous donne déjà un bon avantage. Et ces nouvelles technologies vont, tôt ou tard, achopper sur la question de la confiance, comme c’est toujours le cas avec les citoyennes et les citoyens. Il faut donc veiller à ce que ces technologies soient développées de manière à apporter certitude et confiance aux entreprises, ainsi qu’à la population, en ce qui concerne la collecte, l’intégrité et la sécurité des données.

De ce point de vue, je pense que nous devons surtout mettre en place un cadre réglementaire européen permettant une approche basée sur le risque. Avec ce cadre, nous n’aurons plus qu’à contrôler, à l'aide des systèmes ou des procédures liés à ces éléments, les usages de l’intelligence artificielle susceptibles de créer des risques pour notre économie, notre sécurité et nos sociétés. Dans la mesure où nous avons cette approche basée sur les risques, nous pouvons nous efforcer de créer une situation favorable, où nous passons des milliers de jeunes pousses (« start-up Â») brillantes et performantes, que nous avons en Europe, à des entreprises en expansion (« scale-up Â»), de sorte qu’elles puissent vraiment être compétitives au niveau mondial.

Cela m’amène au troisième point. Que pouvons-nous faire pour que l'intelligence artificielle soit une réussite européenne ? Comme je l’ai dit, et c’est exactement ce qui ressort des rapports Draghi, Letta, Niinistö et de tous les rapports d’experts, il y a trois moteurs pour la compétitivité de l’Europe : l’intégration, l’investissement et la simplification. C’est une évidence. Il n’y a pas beaucoup d’efforts à faire pour comprendre que, dans le cas de l’intelligence artificielle, nous devons intégrer ces technologies dans nos processus industriels et commerciaux. Nous devons également veiller à ce que les marchés soient intégrés. Et qui dit investissement, dit intégration des marchés de capitaux.

J’espère que cette question sera abordée cet après-midi. Elle est d’ailleurs tout à fait pertinente pour le Luxembourg. Comment pouvons-nous mettre en place un marché des capitaux européen intégré qui peut mobiliser les investissements nécessaires pour faire passer à l’échelle supérieure les jeunes pousses européennes performantes ? Les entreprises existantes doivent intégrer les capacités de l’IA. Nous devons intégrer les marchés européens de sorte à disposer des milliards nécessaires à la croissance des entreprises et à la mobilisation de ces investissements. Ensuite, nous devons trouver les meilleurs partenariats public-privé afin de mobiliser l’investissement privé dans ce domaine.

Le Groupe Banque européenne d’investissement est très bien placé pour répondre à ce besoin. Nous agissons généralement en tant que catalyseur, c’est-à-dire que nous exerçons un effet de levier. Nous tirons parti des garanties du budget européen. Nous mobilisons nos propres capitaux et, par nos investissements, nous attirons ensuite des investisseurs privés dans ce domaine. Nous travaillons actuellement sur un nouveau programme de technologies de l’UE en collaboration avec la Commission européenne. Nous étudions la manière dont nous pouvons rassembler toutes les ressources et tous les programmes disponibles en tirer le meilleur parti afin de mobiliser les investissements du secteur privé dont nous avons besoin.

Je ne peux pas vous donner d’aperçu ou d’information à ce stade. Nous avons déjà souligné que nous travaillons avec la Commission pour soutenir le financement de la nouvelle initiative d’investissement dans l’IA. Il s’agit donc de construire et d’investir dans les infrastructures. Les superordinateurs dont parlait le ministre à l’instant en font partie. Ces capacités de calcul peuvent constituer un bien public qui sera utilisé par les entreprises et les universités européennes. Nous travaillons également avec la Commission sur le fonds de capital-expansion pour pouvoir fournir le capital nécessaire à ces entreprises innovantes pour qu’elles se développent rapidement. Nous travaillons sur une autre initiative visant à mobiliser les capitaux européens.

Le troisième élément dont nous avons besoin est la simplification. Je suis sûre qu’ici, à la Chambre de commerce, vous serez tous et toutes d’accord pour dire que nous devons simplifier les règles. Nous devons simplifier les procédures. Nous venons de publier les résultats de l’enquête de la BEI sur l’investissement menée auprès de 13 000 entreprises européennes. Ce rapport annuel montre que 60 % des entreprises européennes exportatrices et 74 % des entreprises au premier rang de l’innovation déclarent être confrontées à des obstacles liés aux réglementations nationales et aux normes de protection des consommateurs lorsqu’elles exportent vers un autre pays de l’Union européenne. Plus de 3 % des coûts des entreprises découlent d’un excès de bureaucratie et de lourdeurs administratives.

Nous saluons donc les initiatives lancées par la Commission européenne, ces propositions « omnibus Â». C’est un premier pas dans la bonne direction pour simplifier le cadre réglementaire afin que nous puissions vraiment faire de ces transitions écologique et numérique une réussite européenne. Je voudrais conclure par une réflexion plus générale sur la situation dans le monde. Il est difficile de se prononcer sur ce qui se passe, car la situation évolue d’heure en heure, de jour en jour. Mais il est évident que le monde est relativement complexe et qu’il est en mutation constante. C’est probablement la nouvelle normalité à laquelle nous devons nous adapter.

Dans ce monde complexe, en perpétuel mouvement et de plus en plus inquiétant, l’Europe peut jouer un rôle très important parce qu’à l’heure actuelle, ce que nous apportons au monde, c’est justement la stabilité, la confiance et une vision claire de l’avenir. Et c’est très important pour les investisseurs du monde entier, car ils savent que l’Europe va apporter stabilité et sécurité en tant que très grand marché intérieur et peut également nouer des partenariats dans le monde entier, avec à la clé des solutions bénéfiques pour tous. Cela peut sembler vieux jeu, mais lorsque nous interagissons avec nos homologues, comme je le fais en permanence, avec nos partenaires dans le reste du monde et les institutions financières internationales, entre autres, l’Europe est perçue comme un partenaire clé. En effet, nous nous employons généralement à trouver des solutions mutuellement bénéfiques, dans lesquelles les deux parties à l’accord sont gagnantes.

Sur ce, j’aimerais terminer sur un message invitant à la confiance, à la confiance en soi et à un peu d’optimisme, car dans ce domaine – nous parlons d’intelligence artificielle –, nous ne démarrons pas en position de tête sur ces nouveaux marchés. Il ne fait aucun doute que nous sommes confrontés à de formidables puissances au niveau mondial, mais le marché est embryonnaire. Ce n’est que le début. Et toutes les batailles qui nous attendent, nous devons nous efforcer de les gagner. Telle est mon approche. Et je suis sûre que le débat que vous allez avoir aujourd’hui va déboucher sur de nombreuses propositions très utiles. Je ne peux malheureusement pas rester, mais je vous laisse une oreille attentive qui me rapportera exactement vos idées et vos demandes pour que nous puissions vraiment faire de l'intelligence artificielle une réussite européenne commune. Je vous remercie de votre attention.