Entretien mené par Kai Johannsen et Detlef Fechtner (publié dans la Börsen-Zeitung)
L’Europe fait figure actuellement de valeur refuge très attractive pour les investisseurs, a déclaré Nadia Calviño, présidente de la BEI, lors de l’entretien.
Mme Calviño, un grand nombre de banques et de gestionnaires d’actifs se retirent actuellement des alliances pour le « zéro net ». Est-ce la fin de la finance verte et durable ?
Nous avons l’impression que les marchés et les investisseurs continuent de consacrer des montants très importants au soutien de la transition écologique.
Qu’est-ce que cela signifie du point de vue du marché de la finance verte ?
Nous avons récemment de nouveau remporté un franc succès sur les marchés. Nous avons lancé notre première émission obligataire verte conformément à la norme des obligations vertes européennes. Cette émission, d’un montant de 3 milliards d’euros, a été sursouscrite 13 fois. C’est un signe clair que les acteurs du marché considèrent toujours ce type d’obligations comme un bon investissement.
Qu’est-ce que cela signifie pour la BEI?
Nous continuerons de jouer notre rôle de banque européenne du climat. Nous soutiendrons la transition écologique en Europe en investissant dans la neutralité carbone et les technologies innovantes qui appuient la transition énergétique verte.
Vous avez récemment ajusté le cadre de la BEI pour les financements verts et durables. Quels changements y avez-vous apportés ?
Dans le domaine de la finance verte, nous n’avons pas changé grand-chose en soi. On notera en particulier le lancement de notre première émission obligataire verte conformément à la norme des obligations vertes européennes, sachant que le règlement y afférent n’est entré en vigueur qu’en décembre 2024. En ce qui concerne les obligations pour le développement durable, nous avons élargi le champ des projets admissibles.
Quels nouveaux domaines la BEI peut-elle financer grâce au produit de ces obligations ?
Entre autres, le soutien économique aux femmes et l’égalité hommes-femmes pour tous et toutes, ou égalité de genre. Ces nouveaux objectifs nous permettront d’investir le produit des obligations de la BEI pour le développement durable dans des entreprises dirigées par des femmes, par exemple.
Quelles sont vos prévisions concernant le volume total d’émission pour cette année ? Et quelle part représenteront les obligations climatiquement responsables (OCR) et les obligations pour le développement durable (OpDD) ?
Cette semaine justement, nous avons lancé une émission OCR à 10 ans de 5 milliards d’euros, dont le carnet d’ordres a atteint un volume record de 56 milliards d’euros. Cela porte le volume total de nos émissions pour 2025 à 47 milliards d’euros, soit près de 80 % de notre objectif de refinancement. Ce niveau correspond à peu près à celui des années précédentes à la même période. Pour cette année, le volume total de nos émissions est estimé à 60 milliards d’euros. Théoriquement, nous pourrions atteindre 65 milliards d’euros. Sur l’ensemble de l’année, les émissions d’OCR et d’OpDD devraient représenter environ 35 % du volume de refinancement prévu.
À l’heure actuelle, on constate une demande pour des actifs sûrs, surtout en Europe. Dans ce contexte, que pensez-vous des émissions obligataires de l’UE, de la BEI et du MES ? Avons-nous besoin d’autres actifs refuges ?
Je ne souhaite pas commenter les discussions en cours sur des questions qui dépassent le champ de compétence de la Banque européenne d’investissement. Mais ce que je peux dire, c’est que l’Europe est actuellement considérée comme un placement sûr. L’Europe fait figure de valeur refuge très attractive et, pour beaucoup, le moment est venu de se tourner vers l’Europe.
Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
Il y a un intérêt marqué des investisseurs pour ces actifs, notamment dans le contexte des incertitudes auxquelles nous avons récemment été confrontés. L’appétit des investisseurs pour ces obligations est grand. Ce constat vaut également pour les obligations de la BEI.
C’est un marché très, très robuste.
Quelles sont, selon vous, les raisons de cette demande ?
Dans des moments comme ceux que nous traversons, où on a l’impression que tout, partout, tout à la fois est en train de changer, l’Europe tient clairement aussi une place à part sur les marchés financiers. L’Europe convainc par sa clarté, sa stabilité et la confiance qu’elle inspire. Et la BEI, grâce à ses obligations, continuera d’offrir des actifs sûrs aux investisseurs dans le monde entier.
Mais les tensions commerciales n’ont-elles pas entraîné une réticence des investisseurs ?
Jusqu’à présent, nous n’avons constaté aucune incidence sur la demande des investisseurs.
En même temps, nous observons que la volatilité s’est imposée comme la nouvelle normalité.
Et quelles conséquences les tensions commerciales ont-elles, d’une manière générale, sur l’activité de la BEI ?
La BEI mise sur des partenariats internationaux et continuera de soutenir et d’intensifier les relations commerciales de l’UE avec d’autres régions du monde, comme le Mercosur, l’Inde, le Mexique et le Chili, pour n’en citer que quelques-unes. L’Europe est une puissance commerciale et la BEI contribue à élargir et à diversifier les partenariats.
Les investisseurs sur le marché obligataire délaissent-ils les États-Unis pour l’Europe?
Il est encore trop tôt pour le dire. Bien sûr que l’on constate l’un ou l’autre mouvement ; certains investisseurs diversifient un peu plus leur portefeuille, mais les ajustements structurels de la répartition des actifs prennent du temps.
Et maintenant ? L’heure de l’euro a-t-elle sonné ?
La situation que nous vivons offre une bonne occasion pour l’euro de consolider et d’élargir son rôle de monnaie de réserve internationale. Nous collaborons avec la Banque centrale européenne et la Commission européenne pour renforcer encore le rôle international de l’euro. Mais cela aussi prendra du temps.
Parlons maintenant de l’utilisation des fonds. Vous avez récemment annoncé des projets d’investissement ambitieux pour renforcer la défense.
Oui, nous disposons d’une réserve complète de plus de 20 projets. Nous progressons rapidement, notamment avec nos financements en capital-risque à l’appui de la sécurité et de la défense.
Qu’en est-il de l’innovation ? Que fait la BEI pour accélérer la transformation numérique et l’innovation technologique ?
Nous travaillons sur le plus grand programme d’investissement technologique de l’UE. Notre objectif est de mobiliser un total de 250 milliards d’euros d’ici à 2027. Nous voulons offrir la gamme complète de solutions de financement : apport de fonds propres, prêts à l’investissement, prêts d’amorçage-investissement, prêts pour les entreprises en expansion, etc., afin d’accompagner chaque étape du cycle de vie d’un projet ou d’une innovation. Nous commencerons par les technologies propres, pour que les modèles économiques durables qui sont créés en Europe puissent aussi y parvenir à maturité.
Comment votre panoplie d’instruments a-t-elle évolué ?
Nous avons accru notre propension au risque et diversifié la panoplie des instruments que nous utilisons à cette fin, en nous adaptant aux besoins du marché.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Pour ce qui est de la défense, par exemple, nous avons constaté que les PME du secteur avaient besoin de liquidités et de fonds de roulement et nous avons donc mis au point un instrument de financement adapté. Nous triplons les financements accordés aux banques pour l’octroi de liquidités à ces entreprises de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie européenne de défense.
Nous avons d’ailleurs signé cette semaine un accord avec Deutsche Bank dans ce domaine. Pour ce qui est des fonds propres, nous avons lancé il y a quelque temps l’initiative Champions technologiques européens, qui aide les jeunes pousses à se développer.
L’UE veut alléger la pression sur les bilans des banques en relançant le marché de la titrisation. Quel rôle la BEI jouera-t-elle à cet égard ?
Nous jouons déjà un rôle très actif sur le marché de la titrisation, tant en ce qui concerne les transactions classiques que pour ce qui est des innovations sur le marché. Nous œuvrons, par exemple, à l’émergence de nouveaux portefeuilles sous-jacents sur le marché, concernant notamment les panneaux solaires.
Les investisseurs se tournent vers des obligations sûres en provenance d’Europe. Selon Nadia Calviño, présidente de la Banque européenne d’investissement (BEI), l’Europe tient une place à part actuellement sur les marchés des capitaux. Pour elle, l’Europe convainc par sa clarté, sa stabilité et la confiance qu’elle inspire. Elle parle d’un marché très robuste.