L’invasion de l’Ukraine par la Russie a contraint l’Union européenne à faire passer sa politique en matière d’énergie et de climat à la vitesse supérieure, d’après Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et Werner Hoyer, président de la Banque européenne d’investissement.

Par Josep Borrell et Werner Hoyer

BRUXELLES – L’invasion de l’Ukraine par la Russie contraint l’Union européenne à accélérer sa politique énergétique et climatique. Le Kremlin se sert de plus en plus souvent de l’énergie pour peser politiquement. Il faut donc que nous le privions de ce moyen d’influence en réduisant drastiquement notre dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles provenant de  Russie.

Les motivations géopolitiques qui guident ce choix rejoignent la nécessité impérieuse de lutter contre le changement climatique. Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, qui porte sur les mesures d’atténuation, souligne l’urgence d’une telle réorientation. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent cesser d'augmenter au plus tard en 2025 si nous voulons éviter une élévation catastrophique des températures. La transition de l’ensemble de l’économie vers les énergies propres doit, en outre, prendre en compte ses inévitables conséquences socio-économiques; il faut que ce soit une «transition juste».

L’UE et la Banque européenne d'investissement (BEI) ont un rôle essentiel à jouer à cet égard. Les investissements dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et les technologies innovantes, telles que l’hydrogène vert, aident à faire face à l’agression russe, tout en contribuant à sauver la planète de sa dépendance vis-à-vis des énergies fossiles. Chaque euro dépensé en faveur de la transition énergétique dans l’Union est un euro qui ne tombera pas dans l’escarcelle d’un pouvoir autoritaire menant une guerre agressive. Chaque euro que nous dépensons dans des énergies propres nous rend plus libres de prendre nos propres décisions. Chaque euro que nous dépensons pour aider nos partenaires internationaux à accélérer leur stratégie de décarbonation est un euro investi dans la résilience et la lutte contre le changement climatique.

Depuis l’invasion russe du 24 février, l’UE accélère sa transition énergétique, dans le but d’aider l’Europe à mettre un terme au plus vite à sa dépendance à l’égard des combustibles fossiles russes. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais jamais les incitations à agir de la sorte n’auront été aussi grandes. Il est possible de parvenir à l’indépendance énergétique en améliorant l’efficacité, en diversifiant nos sources d’approvisionnement et en faisant monter en puissance les énergies renouvelables. Un tel processus nécessite une mobilisation à tous les niveaux, depuis les instances supranationales jusqu’aux ménages et aux particuliers.

Deux écueils importants doivent être pris en compte. Premièrement, la quête de fournisseurs de remplacement pour notre approvisionnement en gaz naturel, aussi importante soit-elle à court terme, ne doit pas nous enfermer dans une nouvelle dépendance à long terme du fait de lourds investissements dans des infrastructures liées aux combustibles fossiles. Ce serait à la fois coûteux, catastrophique pour la planète et, en définitive, inutile, compte tenu des options plus soucieuses des questions climatiques dont nous disposons.

Deuxièmement, nous ne devons pas remplacer un goulet d’étranglement par un autre en troquant notre dépendance excessive vis-à-vis des énergies fossiles contre une dépendance excessive à l’égard des matières premières nécessaires à la transition écologique. Ces ressources sont elles aussi fortement concentrées dans une poignée de pays dont tous ne partagent pas les valeurs et les intérêts de l’UE. Le renforcement de l’autonomie stratégique et de la résilience de l’UE doit demeurer un objectif majeur de la transition.

L’Europe ne peut faire cavalier seul. Remporter la victoire contre le changement climatique et faire pièce à l’agression russe sont des défis de nature internationale qui exigent une réaction internationale. La guerre menée par le président russe Vladimir Poutine a eu pour effet de renforcer la motivation stratégique de tous les pays à réduire leurs importations de combustibles fossiles et à investir davantage dans des énergies respectueuses du climat.

C’est pourquoi la diplomatie climatique est au cœur de l’action extérieure de l’UE. Nous entendons encourager d’autres pays à relever leurs ambitions en matière de climat et consacrons des ressources importantes pour aider nos partenaires à se doter eux aussi d’une économie résiliente et neutre vis-à-vis du climat. Par l’intermédiaire du pacte vert pour l'Europe et de la nouvelle initiative «Global Gateway» de l’UE, les institutions et les États membres de l’UE mobilisent jusqu’à € 300 milliards ($ 325 milliards) d’investissements dans des infrastructures vertes et numériques pour faire face aux crises en matière de climat, de biodiversité et d’énergie.

Qui plus est, la BEI a promis d’investir € 1 000 milliards dans l’action pour le climat et la viabilité environnementale d’ici à 2030. Par le truchement de sa nouvelle branche spécialisée dans le développement, BEI Monde, la banque s’emploie avec ses partenaires du monde entier à mobiliser des fonds en faveur de projets liés à l’efficacité énergétique, aux énergies renouvelables et aux réseaux électriques.

La contribution apportée par la BEI à un avenir énergétique propre s’inscrit dans le cadre de l’effort commun de l’UE au sein de l’ « Equipe Europe ». Il se décline en de nombreuses actions allant d’investissements dans l’énergie solaire au Sénégal au financement de crèches à faible consommation d’énergie en Arménie. La banque a aussi aidé à forger un «partenariat pour une transition énergétique juste» avec l’Afrique du Sud, fourni un appui à l’Alliance solaire internationale, basée en Inde, qui soutient le développement de l'énergie solaire dans 105 pays tropicaux, ou encore signé un programme intégré de gestion de l’eau et de prévention des inondations en Argentine. 

L’UE est décidée à aider la communauté mondiale à mettre un terme à sa dépendance à l’égard des énergies fossiles. La guerre menée par la Russie contre l’Ukraine ne saurait retarder notre action pour le climat. Au contraire, l’augmentation des investissements verts nous conférera une plus grande autonomie stratégique. La décarbonation de notre économie est désormais devenue un impératif géopolitique. Nous appelons nos partenaires des gouvernements du monde entier et des institutions financières internationales à se joindre à nous pour accélérer le financement des énergies propres. En visant la neutralité climatique, nous renforçons aussi la sécurité énergétique.