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Pour mieux maîtriser à l’avenir les menaces semblables à la pandémie actuelle, il serait utile que les gouvernements mettent en place une fonction de responsable de la gestion des risques, estime Werner Hoyer. 

La pandémie de COVID-19 n’est pas encore derrière nous, mais nous commençons à entrevoir la lumière au bout du tunnel. Grâce aux vaccins mis au point en un temps record, à l’accélération des campagnes de vaccination, aux restrictions de déplacements et à l’attitude responsable d’une grande partie de la population, nous, Européens, pouvons commencer à envisager le monde du travail et le quotidien de demain, dans la future « nouvelle normalité » – tandis que des pays comme l’Inde et le Brésil, où des variants du coronavirus sévissent plus que jamais, ont encore besoin de notre aide.

Alors que nous avançons vers cette « nouvelle normalité », n’oublions pas également de tirer les enseignements fondamentaux de cette crise sanitaire. Il nous faut notamment trouver comment mieux gérer les risques qu’implique la mondialisation.  

Le COVID-19 nous a fait prendre conscience que les dangers que représentent la crise climatique, l’utilisation incontrôlée de l’intelligence artificielle ou les pandémies ne relèvent pas seulement des simulations ou d’un avenir lointain. Nous devons au plus vite trouver des solutions pour faire face à ces défis et aiguiser notre perception des risques. Pour ce faire, les dirigeants politiques peuvent – ou doivent, devrais-je plutôt dire – s’inspirer de l’économie. Nous avons besoin d’une gestion plus professionnelle des risques au sein des gouvernements afin de préparer dès à présent nos sociétés aux crises de demain.   

Cette crise du coronavirus elle-même n’a rien de surprenant, si ce n’est le moment où elle est apparue. Depuis des décennies, des voix s’élèvent pour nous mettre en garde, on voit se dérouler des scénarios concrets et, dans une moindre mesure, des épidémies font également leur apparition. Dans les simulations, les spécialistes ont prédit la pandémie avec une précision effrayante – seule la date de son apparition leur manquait, raison pour laquelle le sujet est resté abstrait pour les décideurs politiques.

Les médecins mentionnent par exemple depuis des années une augmentation inquiétante de la résistance aux antibiotiques, ce qui laisse présager la prochaine crise sanitaire mondiale. Nous risquons une situation où il faudra renoncer aux opérations même les plus courantes parce que les antibiotiques ne seront plus efficaces, et où une simple infection bactérienne pourra provoquer le décès du patient. Des germes multirésistants pourraient bientôt remplacer le cancer et les maladies cardiovasculaires parmi les principales causes de décès. Un problème se pose ici : la mise au point de nouveaux antibiotiques de réserve présente un attrait commercial limité, car l’objectif pour ces médicaments consiste justement à les utiliser le moins possible pour réduire le risque de résistance. Or, nous avons besoin de toute urgence de plus d’investissements dans ce domaine – mais là encore, le risque semble trop abstrait pour que l’on accorde toute l’attention requise à la question.

Pour contrer avec vigueur et en temps opportun les dangers qui menacent l’humanité – ceux qui nous occupent ici et d’autres du même type –, nous avons besoin d’une meilleure gestion des risques dans la sphère politique et d’une coopération plus professionnelle entre les gouvernements et les milieux économiques. Car clairement, au vu des nouvelles menaces qui pèsent sur nous, il ne sera pas suffisant de prendre des mesurettes. Nous devons réfléchir plus rapidement et plus radicalement – nous devons anticiper les risques et les incertitudes.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Nous devrions prendre des risques modérés et maîtrisables dans le développement des nouvelles technologies afin d’être armés à temps pour faire face aux risques majeurs et difficiles à gérer. Nous devons dès aujourd’hui investir suffisamment dans la recherche et le développement pour disposer demain des outils qui nous permettront de contenir rapidement toute propagation de bactéries multirésistantes. Ou pour trouver de nouveaux moyens encore plus efficaces de produire et de stocker de l’énergie sans émettre de CO2.

Cela suppose une approche interdisciplinaire, s’appuyant sur la science et orientée vers le long terme. Mais une telle approche est difficile à tenir dans le contexte de l’exercice au jour le jour d’un mandat politique. C’est pourquoi il serait pertinent de créer, afin de placer la gestion des risques au cœur de l’action gouvernementale dans un monde en mutation rapide, une fonction de responsable des risques au niveau des États. Ce ou cette responsable évaluerait, en se faisant aider par des spécialistes, les risques au niveau de la société dans son ensemble et, avec une équipe interdisciplinaire, recenserait systématiquement les risques de catastrophes naturelles, de dommages environnementaux et de crises sanitaires ainsi que les conséquences des avancées technologiques sur le plan de la concurrence, puis proposerait des solutions élaborées avec la contribution d’experts. Une telle équipe avec à sa tête un responsable des risques serait bien plus efficace qu’un enchaînement incessant de commissions d’experts ad hoc mises en place à la hâte. De plus, avec un responsable des risques, il ne serait pas possible pour les États de simplement dissimuler les conséquences à long terme d’une action ou d’une absence d’action.

Les recommandations de ce responsable des risques guideraient l’élaboration d’une stratégie d’investissement que les gouvernements mettraient ensuite en œuvre avec la participation d’investisseurs privés. À cet égard, la Banque européenne d’investissement (BEI) pourrait jouer un rôle central, en définissant des objectifs d’investissement appropriés et en mobilisant des capitaux privés, comme elle l’a déjà fait avec succès pour la mise au point de vaccins, de traitements et de moyens médicaux pour lutter contre la pandémie de COVID-19.

S’agissant du financement d’éventuelles nouvelles technologies telles que les vaccins à ARN messager, la devise devrait être la suivante : « fail early and often ». L’idée est d’investir dans diverses approches prometteuses, d’expérimenter avec audace et d’apprendre des erreurs avant qu’elles ne nous coûtent cher. Pour cela, nous avons également besoin d’une nouvelle culture du capital-risque dans l’Union européenne. À la différence de ce qui se fait sur le « Vieux Continent », aux États-Unis, même les investisseurs institutionnels prudents investissent massivement dans les start-up et les jeunes entreprises technologiques. Ainsi, bien que les économies aient une taille comparable, le capital-risque disponible dans l’UE représente à peine un cinquième de ce qui existe aux États-Unis. 

Nos gouvernements doivent donc fournir les bonnes incitations et conditions-cadres pour renforcer l’utilisation du capital-risque. C’est grâce à la concurrence qui en naîtra que nous pourrons faire émerger les meilleures solutions. Dans le même temps, ils doivent résister à la tentation de choisir un vainqueur trop tôt pour ce qui est des nouvelles applications technologiques et, surtout, de le soutenir en lui accordant des subventions.

L’incertitude fait simplement partie du progrès, c’est un invariant de notre monde complexe. Notre objectif devrait être d’agir de manière rationnelle – d’explorer les choses au lieu de les craindre et de se laisser envahir par la sidération. C’est aussi une action gouvernementale rationnelle et s’appuyant sur la science qui permettra au bout du compte de nous orienter vers la sortie de la pandémie, même si le parcours n’aura pas toujours été en ligne droite. Sans investissements précoces dans une nouvelle technologie vaccinale, même la politique la plus avisée n’aurait pas suffi. Si nous pouvons aujourd’hui parler de « nouvelle normalité », c’est grâce à des entreprises comme Biontech – un excellent exemple de l’interaction entre chercheurs et entrepreneurs, capital-risque privé et soutien public, dont celui de la BEI. En créant ensemble les structures qui permettent à des personnes telles que le couple de chercheurs Ugur Sahin et Özlem Türeci de déployer leur plein potentiel, nous nous dotons des meilleures conditions pour affronter les risques qui pèsent sur l’humanité, même les pires.

L’auteur, Werner Hoyer, est le président de la Banque européenne d’investissement, dont le siège est à Luxembourg.